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Regulation

Alourdissement du fardeau réglementaire : Un frein à la compétitivité canadienne

27 novembre 2025 | Par Celyeste Power, présidente et chef de la direction, BAC
Data Hub

Le 4 novembre pourrait-il marquer un tournant pour l’économie canadienne? Une chose est sûre, le gouvernement fédéral a dit beaucoup de bonnes choses ce jour-là, lorsqu’il a présenté son dernier budget – un budget qui promettait de fournir « un plan clair pour faire du Canada l’économie la plus forte du G7 [...] en faisant passer notre économie de la dépendance à la résilience ».

Afin de soutenir cette promesse, le gouvernement s’est engagé à s’attaquer à un problème qui préoccupe beaucoup le secteur financier canadien : le fardeau réglementaire. Plus précisément, le gouvernement a déclaré qu’il réduirait la paperasse et le fardeau réglementaire des institutions financières afin de débloquer davantage de capitaux privés au Canada.

C’est une formidable nouvelle et un excellent début. Les assureurs canadiens de dommages se félicitent de cette décision et invitent le gouvernement à concrétiser cet engagement. En fait, nous espérons que le gouvernement ira encore plus loin et intégrera la croissance économique dans les mandats des organismes de réglementation, comme l’ont fait d’autres pays.

Cela améliorerait considérablement la situation économique du Canada sur la scène internationale.

Malheureusement, le Canada a pris la direction opposée ces dernières années. Notre système réglementaire fragmenté et de plus en plus complexe freine l’innovation, l’investissement et la croissance. Les institutions financières n’ont plus la possibilité d’offrir à leurs clients toute la gamme de produits souhaitée, les coûts sont répercutés sur les consommateurs et le Canada devient un lieu d’investissement moins attrayant.

Deux rapports récents du Bureau d’assurance du Canada (BAC) et de l’Institut C.D. Howe illustrent le problème et indiquent la solution que le gouvernement fédéral a promis d’apporter.

Montée en flèche des coûts de mise en conformité

Les coûts liés à la conformité réglementaire dans le secteur canadien de l’assurance de dommages ont augmenté de 81 % depuis 2022, selon une nouvelle Enquête sur les coûts de la conformité réglementaire menée par le BAC. Il s’agit d’une hausse qui équivaut à près de 13 fois le taux d’inflation et dépasse de six fois la progression des revenus générés par le secteur.

L’Enquête reflète les contributions de 24 sociétés membres, lesquelles représentent 61 % du marché canadien, et couvre les années civiles 2022 à 2024. Les coûts liés à la conformité réglementaire comprennent la main-d’œuvre interne, les services externes (comme les services d’experts-conseils et d’experts juridiques) et d’autres coûts, notamment les frais d’évaluation.

Voici les principales constatations :

  • Pour le secteur de l’assurance de dommages au Canada, le coût total de la mise en conformité à la réglementation a atteint 753 millions de dollars en 2024, comparativement à 416 millions en 2022 — soit une augmentation de 81 % en seulement deux ans.

  • Près de 75 % des coûts totaux sont attribuables à la main-d’œuvre interne, ce qui comprend une augmentation de 26 % du nombre d’employés à temps plein requis pour assurer la conformité aux exigences réglementaires grandissantes.

  • Les assureurs de dommages continuent de consacrer beaucoup de temps aux exigences de conformité réglementaire fédérales et provinciales. La part la plus importante de ces efforts (40 %) a été consacrée aux exigences de conformité de l’organisme fédéral de réglementation de la solvabilité, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), les 60 % restant ayant été consacrés aux exigences de conformité des organismes de réglementation provinciaux relativement aux pratiques commerciales. Cette proportion est restée relativement stable entre 2022 et 2024.

  • Plus de la moitié des personnes interrogées s’attendent à ce que les coûts liés à la conformité augmentent à nouveau en 2025.

Un système en décalage

Non seulement les coûts liés à la conformité ont bondi de 81 %, dépassant l’inflation et la hausse des primes, mais cette progression ne reflète pas ce qui se passe dans d’autres pays. Les assureurs de l’Union européenne ont consacré 6,5 % de leurs coûts d’exploitation à la mise en conformité en 2017 (dernière année disponible)[1]. À titre de comparaison, d’après l’enquête sur les coûts de la conformité de cette année, les assureurs canadiens ont dépensé 17 % en 2024. Aux États-Unis, les coûts liés à la conformité en valeur constante n’ont augmenté que de 1 % par an entre 2002 et 2014[2], alors que l’industrie canadienne de l’assurance de dommages a enregistré une augmentation de 15 % de 2022 à 2023, suivie d’une hausse de 48 % de 2023 à 2024.

Il n’est guère étonnant que l’augmentation des ressources humaines dédiées à la conformité dans le secteur de l’assurance de dommages reflète une tendance observée dans l’ensemble du paysage réglementaire canadien. La plupart des 44 organismes de réglementation financière du pays ont considérablement élargi leur taille et leur champ d’action, certaines ayant doublé ou triplé leurs effectifs au cours des deux dernières décennies. Alors que les organismes de réglementation élargissent leurs mandats, notamment en intégrant la surveillance des risques non financiers et des activités stratégiques, les assureurs sont contraints d’ajuster leurs équipes internes simplement pour suivre le rythme.

Le volume de l’activité réglementaire met davantage en lumière les tensions qui pèsent sur le secteur. À la fin du deuxième trimestre, l’industrie de l’assurance de dommages faisait l’objet de 38 consultations et initiatives actives ou à venir menées par des gouvernements ou des organismes de réglementation. Le BAC a déjà présenté 48 demandes cette année au nom de l’industrie, dépassant ainsi le total pour la même période en 2024. Ces consultations abordent de nombreux aspects de la façon dont l’assurance est offerte, gérée et encadrée, et l’on observe souvent des recoupements entre les différentes autorités compétentes.

Le budget du gouvernement fédéral a spécifiquement abordé ce problème, en préconisant davantage de prévisibilité, de transparence et de coordination entre les organismes de réglementation. C’est une bonne nouvelle : l’approche actuelle de l’engagement est le reflet d’un système dont le coût, la complexité et l’intensité ne cessent de croître.

C.D. Howe et la situation dans son ensemble

Les constatations du BAC reflètent les résultats d’une nouvelle étude de l’Institut C.D. Howe intitulée Pruning the Rulebook: Canada’s Financial Regulatory Scorecard, Year Two, qui élargit le tableau au secteur financier dans son ensemble et aux répercussions économiques plus larges du fardeau réglementaire.

Cette étude a révélé que la part du coût total de la main-d’œuvre affectée à la conformité réglementaire dans le secteur financier au sens large est passée de 16 % en 2019 à 19 % en 2023, et à 22 % en 2024.

Non seulement la part du coût total de la main-d’œuvre affectée à la conformité réglementaire augmente rapidement, mais l’étude indique aussi que les organismes de réglementation financière du Canada continuent de privilégier la stabilité et la protection au détriment de l’innovation, de la concurrence et du dynamisme économique. Cette situation est en décalage avec celle de nos homologues du Royaume-Uni, d’Australie et des États-Unis.

C.D. Howe a réalisé une analyse textuelle comparant le libellé des mandats des organismes de réglementation canadiens à celui de leurs homologues. Il ressort de cette analyse que le discours des autorités réglementaires canadiennes est dominé par des termes tels que « stabilité », « solvabilité » et « obligation », tandis que celui du Royaume-Uni et de l’Australie privilégie des notions comme « concurrence », « croissance » et « coût ».

Pourquoi cela est-il important? Comme l’affirme C.D. Howe, le fossé linguistique reflète une différence structurelle dans les philosophies réglementaires. Les auteurs soulignent ceci [traduction] : « L’absence d’incitatifs clairs à la concurrence, à l’innovation et à la formation de capital dans le cadre réglementaire financier peut accentuer ces dynamiques, multipliant les barrières à l’entrée, alourdissant les coûts liés à la conformité pour les petits cabinets et freinant l’accès aux marchés de capitaux, en particulier pour les entreprises en démarrage à fort potentiel et les secteurs émergents ».

L’étude précise également ce qui suit [traduction] : « Cet écart réglementaire est particulièrement préoccupant compte tenu des difficultés persistantes du Canada en matière de croissance de la productivité, d’investissement, d’expansion économique et d’adoption de l’innovation ».

L’ironie du sort est que les efforts déployés pour protéger les consommateurs peuvent aboutir à l’effet inverse.

Le Canada à l’international : Un recul préoccupant

Alors que les coûts liés à la réglementation dans le secteur de l’assurance au Canada augmentent fortement, d’autres pays évoluent dans la direction opposée. L’Union européenne, le Royaume-Uni, l’Australie et la Corée du Sud ont tous annoncé des réformes visant à réduire le fardeau réglementaire et à moderniser les cadres de surveillance. Ces efforts visent à stimuler la productivité, à accroître l’abordabilité et à favoriser l’innovation — autant d’éléments essentiels à une croissance économique durable.

Il existe un lien entre le fardeau réglementaire et la réussite économique. Des données récentes de Statistique Canada montrent que l’augmentation du nombre de règlements imposés aux entreprises canadiennes ébranle de façon mesurable la performance économique du pays. Au cours de la période de 2006 à 2021, le nombre d’exigences réglementaires fédérales a augmenté de 2,1 % par an, soit une augmentation cumulée de 37 %. On estime que cette expansion réglementaire a réduit le produit intérieur brut du Canada de 1,7 % et ralenti la croissance de l’emploi de 1,3 % dans le secteur des entreprises du Canada. Il s’agit là de répercussions concrètes qui nuisent à l’ensemble de la population canadienne.

Pendant ce temps, la compétitivité du Canada à l’échelle internationale demeure peu convaincante : Selon le Forum économique mondial, le Canada se classe au 38e rang quant au fardeau réglementaire gouvernemental et au 54rang quant à la mobilité interne de la main-d’œuvre (le 1er rang étant le meilleur pour ces deux mesures).​

La voie à suivre

Le BAC ne s’oppose pas à la réglementation; il ne fait aucun doute qu’elle demeure essentielle au maintien de l’intégrité du marché et à la protection des consommateurs.

Cela dit, le système actuel est déséquilibré.

Le BAC préconise un encadrement réglementaire judicieux, alliant rigueur en matière de protection des consommateurs et ouverture à l’innovation et à la croissance. Les recommandations visant à faire évoluer le régime réglementaire de l’assurance au Canada en ce sens sont les suivantes :

  • Recentrer les mandats des organismes de réglementation pour promouvoir la concurrence et l’innovation

  • Assurer la promotion de l’harmonisation entre les organismes de réglementations fédéraux et provinciaux, afin de réduire les chevauchements et les redondances

  • Mettre à jour les règles relatives au capital afin d’offrir une plus grande flexibilité, y compris des options d’investissement (notamment dans les infrastructures canadiennes) pour les assureurs canadiens.

En outre, C.D. Howe recommande trois étapes aux décideurs souhaitant amorcer un nouveau processus réglementaire. Ces étapes contribueraient à garantir la pertinence et la finalité de toute initiative en ce sens :

  1. Cerner précisément le problème

  2. Réaliser une analyse coûts-avantages exhaustive afin de mesurer les répercussions des mesures réglementaires envisagées.

  3. Formuler clairement les objectifs pour assurer la prévisibilité et la cohérence.

Le régime de réglementation financière du Canada est à la croisée des chemins. La preuve est manifeste : Les coûts sont en hausse, la complexité augmente et notre notre capacité à rivaliser diminue. Une approche réglementaire plus judicieuse constitue une orientation prometteuse, propice à l’innovation, à une meilleure accessibilité économique et à une résilience accrue du tissu économique.

Mais pour que le progrès se concrétise, il faut du leadership, de la collaboration et une volonté de repenser la manière dont nous prévoyons la réglementation dans un monde en constante évolution. D’autres pays modernisent déjà leurs cadres. Le statu quo n’est plus une option si le Canada veut rester dans la course. Le dernier budget fédéral a montré que notre gouvernement actuel est sur la bonne voie. Nous sommes impatients de voir ses promesses se concrétiser.


1Commission européenne : Directorate-General for Financial Stability, Financial Services and Capital Markets Union, CEPS and ICF, Study on the costs of compliance for the financial sector—Final report, Publications Office, 2020. [en anglais seulement]

2Trebbi F, Zhang MB, Simkovic M. (2023). The Cost of Regulatory Compliance in the United States. CESifo Working Paper, No. 10589, Center for Economic Studies and ifo Institute (CESifo), Munich. [en anglais seulement]

À propos de l'auteur

À titre de présidente et cheffe de la direction du BAC, Mme Power collabore avec les gouvernements canadiens et les principales parties prenantes au pays pour bâtir une industrie de l’assurance de dommages forte et stable ainsi que pour renforcer la résilience du pays.

Auparavant, Mme Power a exercé la fonction de vice-présidente directrice, Initiatives stratégiques et Lobbying, où elle a fait progresser les priorités nationales en matière de lobbyisme pour l’industrie canadienne de l’assurance de dommages. Par ailleurs, elle a occupé des postes aux responsabilités croissantes au BAC, notamment ceux de porte-parole nationale, de directrice générale, Stratégie et Engagement des membres, de vice-présidente, région de l’Ouest et de cheffe de la stratégie. Avant d’entrer au service du BAC, Mme Power a occupé de nombreux postes de direction au gouvernement du Canada, dont celui de gestionnaire des enjeux auprès du premier ministre.

Mme Power est également présidente de The Insurance Supper Club Canada, une organisation qui appuie la promotion des femmes aux postes de direction de l’industrie de l’assurance. À l’occasion de la cérémonie Insurance Business Canada Awards de 2022, elle a reçu le prix The Steamatic Canada Award for Woman of Distinction. Mme Power est titulaire d’un baccalauréat ès arts de l’Université d’Ottawa et d’une maîtrise et d’un certificat en administration des affaires de l’Université de Toronto.